Voyage au Centre de la Terre
sur Les Ludopathes
Contient : terre (91)Voyage au Centre de laTerreJules Verne. Edition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. (...)
» Ma foi, faute de réplique, j'allais me prosterner, genre de réponse qui doit plaire aux dieux comme aux rois, car elle a l'avantage de ne jamais les embarrasser, quand un incident vint détourner le cours de la conversation. Ce fut l'apparition d'un parchemin crasseux qui glissa du bouquin et tomba àterre. Mon oncle se précipita sur ce brimborion avec une avidité facile à comprendra. Un vieux document, enfermé depuis un temps immémorial dans un vieux livre, ne pouvait manquer d'avoir un haut prix à ses yeux. (...)
Mon oncle travaillait toujours ; son imagination se perdait dans le monde idéal des combinaisons ; il vivait loin de laterre, et véritablement en dehors des besoins terrestres. Vers midi, la faim m'aiguillonna sérieusement ; Marthe, très innocemment, avait dévoré la veille les provisions du gardemanger ; il ne restait plus rien à la maison, Cependant je tins bon. (...)
Ce qui, de ce mauvais latin, peut être traduit ainsi : Descends dans le cratère du Yocul de Sneffels que l'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de laTerre. Ce que j'ai fait. Arne Saknussemm. Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s'il eût inopinément touché une bouteille de Leyde. (...)
Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrêter le professeur Lidenbrock ; or, il y en avait, et de bons, contre la possibilité d'un pareil voyage. Aller au centre de laterre! Quelle folie ! Je réservai ma dialectique pour le moment opportun, et je m'occupai du repas. (...)
Ce savant est allé au fond du Sneffels ; il a vu l'ombre du Scartaris caresser les bords du cratère avant les calendes de juillet ; il a même entendu raconter dans les récits légendaires de son temps que ce cratère aboutissait au centre de laterre; mais quant à y être parvenu lui-même, quant à avoir fait le voyage et à en être revenu, s'il l'a entrepris, non, cent fois non ! (...)
il est parfaitement reconnu que la chaleur augmente environ d'un degré par soixante-dix pieds de profondeur audessous de la surface du globe ; or, en admettant cette proportionnalité constante, le rayon terrestre étant de quinze cents lieues, il existe au centre une température de deux millions de degrés. Les matières de l'intérieur de laterrese trouvent donc à l'état de gaz incandescent, car les métaux, l'or, le platine, les roches les plus dures, ne résistent pas à une pareille chaleur. (...)
- D'accord, mais c'est aussi l'avis d'autres géologues distingués, que l'intérieur du globe n'est formé ni de gaz ni d'eau, ni des plus lourdes pierres que nous connaissions, car, dans ce cas, laterreaurait un poids deux fois moindre. - Oh ! avec les chiffres on prouve tout ce qu'on veut ! - Et avec les faits, mon garçon, en est-il de même ? (...)
Nous discutâmes longtemps, entre autres questions, l'hypothèse de la liquidité du noyau intérieur de laterre. Nous étions tous deux d'accord que cette liquidité ne pouvait exister, par une raison à laquelle la science n'a jamais trouvé de réponse. (...)
- C'est que cette masse liquide serait sujette comme l'Océan, à l'attraction de la lune, et conséquemment, deux fois par jour, il se produirait des marées intérieures qui, soulevant l'écorce terrestre, donneraient lieu à des tremblements deterrepériodiques ! - Mais il est pourtant évident que la surface du globe a été soumise à la combustion, et il est permis de supposer que la croûte extérieure s'est refroidie d'abord, tandis que la chaleur se réfugiait au centre. - Erreur, répondit mon oncle ; laterrea été échauffée par la combustion de sa surface, et non autrement. Sa surface était composée d'une grande quantité de métaux, tels que le potassium, le sodium, qui ont la propriété de s'enflammer au seul contact de l'air et de l'eau ; ces métaux prirent feu quand les vapeurs atmosphériques se précipitèrent en pluie sur le sol, et peu à peu, lorsque les eaux pénétrèrent dans les fissures de l'écorce terrestre, elles déterminèrent de nouveaux incendies avec explosions et éruptions. (...)
- Cela est certain, répondit triomphalement mon oncle ; mais silence, entends-tu ! silence sur tout ceci, et que personne n'ait idée de découvrir avant nous le centre de laterre. » VII Ainsi se termina cette mémorable séance. Cet entretien me donna la fièvre. Je sortis du cabinet de mon oncle comme étourdi, et il n'y avait pas assez d'air dans les rues de Hambourg pour me remettre. (...)
Il faut pourtant l'avouer, une heure après, cette surexcitation tomba ; mes nerfs se détendirent, et des profonds abîmes de laterreje remontai à sa surface. « C'est absurde ! m'écriai-je ; cela n'a pas le sens commun ! Ce n'est pas une proposition sérieuse à faire à un garçon sensé. (...)
« Après tout, pensai-je, les calendes de juillet sont encore loin et, d'ici là, bien des événements se passeront qui guériront mon oncle de sa manie de voyager sousterre. » La nuit était venue quand nous arrivâmes à la maison de Königstrasse. Je m'attendais à trouver la demeure tranquille, mon oncle couché suivant son habitude et la bonne Marthe donnant à la salle à manger le dernier coup de plumeau du soir. (...)
« Et il vous emmène avec lui ? » Même affirmation. « Où cela ? » dit-elle. J'indiquai du doigt le centre de laterre. « A la cave ? s'écria la vieille servante. - Non, dis-je enfin, plus bas ! » Le soir arriva. Je n'avais plus conscience du temps écoulé. (...)
Est-ce que vous n'en ferez pas autant ? - Oh ! cela m'intéresse médiocrement. Ce qui est curieux dans cetteterred'Islande n'est pas dessus, mais dessous. » Je sortis et j'errai au hasard. S'égarer dans les deux rues de Reykjawik n'eût pas été chose facile. (...)
J'eus bientôt arpenté ces voies mornes et tristes ; j'entrevoyais parfois un bout de gazon décoloré, comme un vieux tapis de laine râpé par l'usage, ou bien quelque apparence de verger, dont les rares légumes, pommes deterre, choux et laitues, eussent figuré à l'aise sur une table lilliputienne ; quelques giroflées maladives essayaient aussi de prendre un petit air de soleil. Vers le milieu de la rue non commerçante, je trouvai le cimetière public enclos d'un mur enterre, et dans lequel la place ne manquait pas. Puis, en quelques enjambées, j'arrivai à la maison du gouverneur, une masure comparée à l'hôtel de ville de Hambourg, un palais auprès des huttes de la population islandaise. (...)
Pas d'arbres, pas de végétation, pour ainsi dire. Partout les arêtes vives des roches volcaniques. Les huttes des Islandais sont faites deterreet de tourbe, et leurs murs inclinés en dedans ; elles ressemblent à des toits posés sur le sol. (...)
Les hommes paraissaient robustes, mais lourds, des espèces d'Allemands blonds, à l'oeil pensif, qui se sentent un peu en dehors de l'humanité, pauvres exilés relégués sur cetteterrede glace, dont la nature aurait bien dû faire des Esquimaux, puisqu'elle les condamnait à vivre sur la limite du cercle polaire ! (...)
- Pourquoi ? - Parce que nous n'avons pas un seul canot à Reykjawik. - Diable ! - Il faudra aller parterre, en suivant la côte. Ce sera plus long, mais plus intéressant. - Bon. Je verrai à me procurer un guide. (...)
Or, des conventions il résulta que Hans s'engageait à nous conduire au village de Stapi, situé sur la côte méridionale de la 3 Nom donné aux golfes étroits dans les pays scandinaves. presqu'île du Sneffels, au pied même du volcan. Il fallait compter parterrevingt-deux milles environ, voyage à faire en deux jours, suivant l'opinion de mon oncle. Mais quand il apprit qu'il s'agissait de milles danois de vingtquatre mille pieds, il dut rabattre de son calcul et compter, vu l'insuffisance des chemins, sur sept ou huit jours de marche. (...)
« Un fameux homme, s'écria mon oncle, mais il ne s'attend guère au merveilleux rôle que l'avenir lui réserve de jouer. - Il nous accompagne donc jusqu'au... - Oui, Axel, jusqu'au centre de laterre. » Quarante-huit heures restaient encore à passer ; à mon grand regret, je dus les 4 16 francs 98 centimes. (...)
En effet, le baromètre ordinaire n'eût pas suffi, la pression atmosphérique devant augmenter proportionnellement à notre descente au-dessous de la surface de laterre; 3° Un chronomètre de Boissonnas jeune de Genève, parfaitement réglé au méridien de Hambourg ; 4° Deux boussoles d'inclinaison et de déclinaison ; 5° Une lunette de nuit ; 6° Deux appareils de Ruhmkorff, qui, au moyen d'un courant électrique, donnaient une lumière très portative, sûre et peu encombrante. (...)
» Cependant nous avancions d'un pas rapide ; le pays était déjà à peu près désert. Ca et là une ferme isolée, quelque boër5 solitaire, fait de bois, deterre, de morceaux de lave, apparaissait comme un mendiant au bord d'un chemin creux. Ces huttes délabrées avaient l'air d'implorer la charité des passants, et, pour un peu, on leur eût fait l'aumône. (...)
Mon oncle, à la taille duquel on n'avait pas songé en bâtissant la maison, ne manqua pas de donner trois ou quatre fois de la tête contre les saillies du plafond. On nous introduisit dans notre chambre, sorte de grande salle avec un sol deterrebattue et éclairée d'une fenêtre dont les vitres étaient faites de membranes de mouton assez peu transparentes. (...)
Mais mon oncle, qui n'avait rien à refaire, ne l'entendait pas ainsi, et le lendemain il fallut enfourcher de nouveau nos bonnes bêtes. Le sol se ressentait du voisinage de la montagne dont les racines de granit sortaient deterre, comme celles d'un vieux chêne. Nous contournions l'immense base du volcan. Le professeur ne le perdait pas des yeux ; il gesticulait, il semblait le prendre au défi et dire : « Voilà donc le géant que je vais dompter ! (...)
Cependant j'avais encore un espoir, c'est qu'une fois arrivés au fond du cratère, il serait impossible, faute de galerie, de descendre plus profondément, et cela en dépit de tous les Saknussemm du monde. Je passai la nuit suivante en plein cauchemar au milieu d'un volcan et des profondeurs de laterre, je me sentis lancé dans les espaces planétaires sous la forme de roche éruptive. Le lendemain, 23 juin, Hans nous attendait avec ses compagnons chargés des vivres, des outils et des instruments. (...)
Ce digne couple nous rançonnait comme un aubergiste suisse et portait à un beau prix son hospitalité surfaite. Mon oncle paya sans marchander. Un homme qui partait pour le centre de laterrene regardait pas à quelques rixdales. Ce point réglé, Hans donna le signal du départ, et quelques instants après nous avions quitté Stapi. (...)
Son neigeux sommet, par une illusion d'optique fréquente dans les montagnes, me paraissait fort rapproché, et cependant, que de longues heures avant de l'atteindre ! Quelle fatigue surtout ! Les pierres qu'aucun ciment deterre, aucune herbe ne liaient entre elles, s'éboulaient sous nos pieds et allaient se perdre dans la plaine avec la rapidité d'une avalanche. (...)
Si je me retournais vers l'ouest, l'Océan s'y développait dans sa majestueuse étendue, comme une continuation de ces sommets moutonneux. Où finissait laterre, où commençaient les flots, mon oeil le distinguait à peine. Je me plongeais ainsi dans cette prestigieuse extase que donnent les hautes cimes, et cette fois, sans vertige, car je m'accoutumais enfin à ces sublimes contemplations. (...)
Mon oncle, se tournant vers l'ouest, m'indiqua de la main une légère vapeur, une brume, une apparence deterrequi dominait la ligne des flots. « Le Groënland, dit-il. - Le Groënland ? m'écriai-je. - Oui ; nous n'en sommes pas à trente-cinq lieues, et, pendant les dégels, les ours blancs arrivent jusqu'à l'Islande, portés sur les glaçons du nord. (...)
- Allons donc, s'écria mon oncle, si tu t'effrayes déjà, que sera-ce plus tard ? Nous ne sommes pas encore entrés d'un pouce dans les entrailles de laterre? - Que voulez-vous dire ? - Je veux dire que nous avons atteint seulement le sol de l'île ! Ce long tube vertical, qui aboutit au cratère du Sneffels, s'arrête à peu près au niveau de la mer. (...)
Mais ce qui se faisait marche sous nos pieds devenait stalactites sur les autres parois ; la lave, poreuse en de certains endroits, présentait de petites ampoules arrondies ; des cristaux de quartz opaque, ornés de limpides gouttes de verre et suspendus à la voûte comme des lustres, semblaient s'allumer à notre passage. On eût dit que les génies du gouffre illuminaient leur palais pour recevoir les hôtes de laterre. « C'est magnifique ! m'écriai-je involontairement. Quel spectacle, mon oncle ! Admirez-vous ces nuances de la lave qui vont du rouge brun au jaune éclatant par dégradations insensibles ? (...)
Le tunnel, au lieu de s'enfoncer dans les entrailles du globe, tendait à devenir absolument horizontal. Je crus remarquer même qu'il remontait vers la surface de laterre. Cette disposition devint si manifeste vers dix heures du matin, et par suite si fatigante, que je fus forcé de modérer notre marche. (...)
Depuis une demi-heure, les pentes se sont modifiées, et à les suivre ainsi, nous reviendrons certainement à laterred'Islande. » Le professeur remua la tête en homme qui ne veut pas être convaincu. J'essayai de reprendre la conversation. (...)
D'ailleurs, la route ascendante devenait plus pénible, je m'en consolais en songeant qu'elle me rapprochait de la surface de laterre. C'était un espoir. Chaque pas le confirmait, et je me réjouissais à cette idée de revoir ma petite Graüben. (...)
Nous étions en pleine époque de transition, en pleine période silurienne.9 « C'est évident, m'écriai-je, les sédiments des eaux ont formé, à la seconde époque de laterre, ces schistes, ces calcaires et ces grès ! Nous tournons le dos au massif granitique ! Nous ressemblons à des gens de Hambourg, qui prendraient le chemin de Hanovre pour aller à Lubeck. (...)
Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s'était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de laterrepénétraient pour la première fois. Toute l'histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. (...)
Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d'argile compacts, et comme écrasés par les couches supérieures. A cet âge du monde qui précéda l'époque secondaire, laterrese recouvrit d'immenses végétations dues à la double action d'une chaleur tropicale et d'une humidité persistante. (...)
L'exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. A quoi bon, d'ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de laterredans un grand nombre de contrées ? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde. (...)
Si, ce temps écoulé, je n'ai pas rencontré l'eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de laterre. » En dépit de mon irritation, je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage. (...)
Nous n'avions pas fait cent pas, que le professeur, promenant sa lampe le long des murailles, s'écriait : « Voilà les terrains primitifs ! nous sommes dans la bonne voie ! marchons ! marchons ! » Lorsque laterrese refroidit peu à peu aux premiers jours du monde, la diminution de son volume produisit dans l'écorce des dislocations, des ruptures, des retraits, des fendilles. (...)
Voilà un voyage qui vaudra celui de Spa ou de Toeplitz ! - Ah ! que c'est bon ! - Je le crois bien, une eau puisée à deux lieues sousterre! Elle a un goût d'encre qui n'a rien de désagréable. Une fameuse ressource que Hans nous a procurée là ! (...)
Le ruisseau courait sans précipitation en murmurant sous nos pieds. Je le comparais à quelque génie familier qui nous guidait à travers laterre, et de la main je caressais la tiède naïade dont les chants accompagnaient nos pas. Ma bonne humeur prenait volontiers une tournure mythologique. (...)
Le voyage ne pouvait être varié par les incidents du paysage. Enfin, le mercredi 15, nous étions à sept lieues sousterreet à cinquante lieues environ du Sneffels. Bien que nous fussions un peu fatigués, nos santés se maintenaient dans un état rassurant, et la pharmacie de voyage était encore intacte. (...)
Il est vrai que l'intensité de la pesanteur diminuera à mesure que nous descendrons. Tu sais que c'est à la surface même de laterreque son action se fait le plus vivement sentir, et qu'au centre du globe les objets ne pèsent plus. (...)
Ces trente lieues d'écorce terrestre pesaient sur mes épaules d'un poids épouvantable ! Je me sentais écrasé. J'essayai de ramener mes idées aux choses de laterre. C'est à peine si je pus y parvenir. Hambourg, la maison de Königstrasse, ma pauvre Graüben, tout ce monde sous lequel je m'égarais, passa rapidement devant mon souvenir effaré. (...)
Et, chose étrange, il me vint à la pensée que, si mon corps fossilisé se retrouvait un jour, sa rencontre à trente lieues dans les entrailles deterresoulèverait de graves questions scientifiques ! Je voulus parler à voix haute, mais de rauques accents passèrent seuls entre mes lèvres desséchées. (...)
Je la suivis, je l'aspirai du regard, je concentrai sur elle toute la puissance de mes yeux, comme sur la dernière sensation de lumière qu'il leur fût donné d'éprouver, et je demeurai plongé dans les ténèbres immenses. Quel cri terrible m'échappa ! Surterreau milieu des plus profondes nuits, la lumière n'abandonne jamais entièrement ses droits ! Elle est diffuse, elle est subtile ; mais, si peu qu'il en reste, la rétine de l'oeil finit par la percevoir ! (...)
Je pensai que ma voix affaiblie ne pouvait arriver jusqu'à mes compagnons. « Car ce sont eux, répétai-je. Quels autres hommes seraient enfouis à trente lieues sousterre? » Je me remis à écouter. En promenant mon oreille sur la paroi, je trouvai un point mathématique où les voix paraissaient atteindre leur maximum d'intensité. (...)
Voilà le sifflement de la brise ! Est-ce que je me trompe, ou sommes-nous revenus à la surface de laterre? Mon oncle a-t-il donc renoncé à son expédition, ou l'aurait-il heureusement terminée ? » Je me posais ces insolubles questions, quand le professeur entra. (...)
Au lieu d'un firmament brillant d'étoiles, je sentais par-dessus ces nuages une voûte de granit qui m'écrasait de tout son poids, et cet espace n'eût pas suffi, tout immense qu'il fût, à la promenade du moins ambitieux des satellites. Je me souvins alors de cette théorie d'un capitaine anglais qui assimilait laterreà une vaste sphère creuse, à l'intérieur de laquelle l'air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que deux astres, Pluton et Proserpine, y traçaient leurs mystérieuses orbites. (...)
Quand nous arrivâmes sous leur ombrage, ma surprise ne fut plus que de l'admiration. En effet, je me trouvais en présence de produits de laterre, mais taillés sur un patron gigantesque. Mon oncle les appela immédiatement de leur nom. « Ce n'est qu'une forêt de champignons », dit-il. (...)
Plus loin s'élevaient par groupes un grand nombre d'autres arbres au feuillage décoloré. Ils étaient faciles à reconnaître ; c'étaient les humbles arbustes de laterre, avec des dimensions phénoménales, des lycopodes hauts de cent pieds, des sigillaires géantes, des fougères arborescentes, grandes comme les sapins des hautes latitudes, des lépidodendrons à tiges cylindriques bifurquées, terminées par de longues feuilles et hérissées de poils rudes comme de monstrueuses plantes grasses. (...)
- Je ne comprends pas la présence de pareils quadrupèdes dans cette caverne de granit. - Pourquoi ? - Parce que la vie animale n'a existé sur laterrequ'aux périodes secondaires, lorsque le terrain sédimentaire a été formé par les alluvions, et a remplacé les roches incandescentes de l'époque primitive. (...)
Axel, il y a une réponse bien simple à faire à ton objection, c'est que ce terrain-ci est un terrain sédimentaire. - Comment ! à une pareille profondeur au-dessous de la surface de laterre? 8 Phosphate de chaux. - Sans doute, et ce fait peut s'expliquer géologiquement. A une certaine époque, laterren'était formée que d'une écorce élastique, soumise à des mouvements alternatifs de haut et de bas, en vertu des lois de l'attraction. Il est probable que des affaissements du sol se sont produits, et qu'une partie des terrains sédimentaires a été entraînée au fond des gouffres subitement ouverts. (...)
- Et la boussole indique toujours le sud-est ? - Oui, avec une déclinaison occidentale de dix-neuf degrés et quarante-deux minutes, comme surterre, absolument. Pour son inclinaison, il se passe un fait curieux que j'ai observé avec le plus grand soin. (...)
je ne prétends point m'y précipiter la tête la première. Mais si les océans ne sont, à proprement parler, que des lacs, puisqu'ils sont entourés deterre, à plus forte raison cette mer intérieure se trouve-t-elle circonscrite par le massif granitique. (...)
Les rayons argentés de la lumière électrique, réfléchis ça et là par quelque gouttelette, faisaient éclore des points lumineux sur les côtés de l'embarcation. Bientôt touteterrefut perdue de vue, tout point de repère disparut, et, sans le sillage écumeux du radeau, j'aurais pu croire qu'il demeurait dans une parfaite immobilité. (...)
Notre radeau longea des fucus longs de trois et quatre mille pieds, immenses serpents qui se développaient hors de la portée de la vue ; je m'amusais à suivre du regard leurs rubans infinis, croyant toujours en atteindre l'extrémité, et pendant des heures entières ma patience était trompée, sinon mon étonnement. Quelle force naturelle pouvait produire de telles plantes, et quel devait être l'aspect de laterreaux premiers siècles de sa formation, quand, sous l'action de la chaleur et de l'humidité, le règne végétal se développait seul à sa surface ! (...)
Le Mastodonte géant fait tournoyer sa trompe et broie sous ses défenses les rochers du rivage, tandis que le Megatherium, arc-bouté sur ses énormes pattes, fouille laterreen éveillant par ses rugissements l'écho des granits sonores. Plus haut, le Protopithèque, le premier singe apparu à la surface du globe, gravit les cimes ardues. (...)
Tout ce monde fossile renaît dans mon imagination. Je me reporte aux époques bibliques de la création, bien avant la naissance de l'homme, lorsque laterreincomplète ne pouvait lui suffire encore. Mon rêve alors devance l'apparition des êtres animés. (...)
Les mammifères disparaissent, puis les oiseaux, puis les reptiles de l'époque secondaire, et enfin les poissons, les crustacés, les mollusques, les articulés. Les zoophytes de la période de transition retournent au néant à leur tour. Toute la vie de laterrese résume en moi, et mon coeur est seul à battre dans ce monde dépeuplé. Il n'y plus de saisons ; il n'y a plus de climats ; la chaleur propre du globe s'accroît sans cesse et neutralise celle de l'astre radieux. (...)
Les plantes disparaissent ; les roches granitiques perdent leur dureté ; l'état liquide va remplacer l'état solide sous l'action d'une chaleur plus intense ; les eaux courent à la surface du globe ; elles bouillonnent, elles se volatilisent ; les vapeurs enveloppent laterre, qui peu à peu ne forme plus qu'une masse gazeuse, portée au rouge blanc, grosse comme le soleil et brillante comme lui ! (...)
» A ces paroles, je me lève, je consulte l'horizon ; mais la ligne d'eau se confond toujours avec la ligne des nuages. XXXIII Samedi 15 août. - La mer conserve sa monotone uniformité. Nulleterren'est en vue. L'horizon paraît excessivement reculé. J'ai la tête encore alourdie par la violence de mon rêve. (...)
Je frissonne à l'évocation que je fais de ces monstres. Nul oeil humain ne les a vus vivants. Ils apparurent sur laterremille siècles avant l'homme, mais leurs ossements fossiles, retrouvés dans ce calcaire argileux que les Anglais nomment le lias, ont permis de les reconstruire anatomiquement et de connaître leur colossale conformation. (...)
J'ai vu au Muséum de Hambourg le squelette de l'un de ces sauriens qui mesurait trente pieds de longueur. Suis-je donc destiné, moi, habitant de laterre, à me trouver face à face avec ces représentants d'une famille antédiluvienne ? Non ! c'est impossible. (...)
L'atmosphère se charge de vapeurs, qui emportent avec elles l'électricité formée par l'évaporation des eaux salines, les nuages s'abaissent sensiblement et prennent une teinte uniformément olivâtre ; les rayons électriques peuvent à peine percer cet opaque rideau baissé sur le théâtre où va se jouer le drame des tempêtes. Je me sens particulièrement impressionné, comme l'est surterretoute créature à l'approche d'un cataclysme. Les « cumulus11 » entassés dans le sud présentent un aspect sinistre ; ils ont cette apparence « impitoyable » que j'ai souvent remarquée au début des orages. (...)
- Non, mais au bout de cette mer qui n'en finissait pas. Nous allons reprendre maintenant la voie deterreet nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. - Mon oncle, permettez-moi une question. (...)
Ceci pouvait expliquer jusqu'à un certain point l'existence de cet océan, à quarante lieues au-dessous de la surface du globe. Mais, suivant moi, cette masse d'eau devait se perdre peu à peu dans les entrailles de laterre, et elle provenait évidemment des eaux de l'Océan qui se firent jour à travers quelque fissure. (...)
Ou plutôt vécurent-ils ici, dans ce monde souterrain, sous ce ciel factice, naissant et mourant comme les habitants de laterre? Jusqu'ici, les monstres marins, les poissons seuls, nous étaient apparus vivants ! Quelque homme de l'abîme errait-il encore sur ces grèves désertes ? (...)
Un singe, oui, un singe, si invraisemblable qu'il soit ! Mais un homme, un homme vivant, et avec lui toute une génération enfouie dans les entrailles de laterre! Jamais ! Cependant nous avions quitté la forêt claire et lumineuse, muets d'étonnement, accablés sous une stupéfaction qui touchait à l'abrutissement. (...)
Enfin, après trois heures de navigation, c'est-à-dire vers six heures du soir, on atteignait un endroit propice au débarquement. Je sautai àterre, suivi de mon oncle et de l'Islandais. Cette traversée ne m'avait pas calmé. Au contraire, je proposai même de brûler « nos vaisseaux », afin de nous couper toute retraite. (...)
Rien n'existait plus pour moi à la surface de ce sphéroïde au sein duquel je m'étais engouffré, ni les villes, ni les campagnes, ni Hambourg, ni Königstrasse, ni ma pauvre Graüben, qui devait me croire à jamais perdu dans les entrailles de laterre. « Eh bien ! reprit mon oncle, à coups de pioche, à coups de pic, faisons notre route et renversons ces murailles ! (...)
A partir de ce moment, notre raison, notre jugement, notre ingéniosité, n'ont plus voix au chapitre, et nous allons devenir le jouet des phénomènes de laterre. A six heures, nous étions sur pied. Le moment approchait de nous frayer par la poudre un passage à travers l'écorce de granit. (...)
Au delà du roc qui venait de sauter, il existait un abîme. L'explosion avait déterminé une sorte de tremblement deterredans ce sol coupé de fissures, le gouffre s'était ouvert, et la mer, changée en torrent, nous y entraînait avec elle. (...)
La maison de Königstrasse, ma pauvre Graüben, la bonne Marthe, passèrent comme des visions devant mes yeux, et, dans les grondements lugubres qui couraient à travers le massif, je croyais surprendre le bruit des cités de laterre. Pour mon oncle, « toujours à son affaire », la torche à la main, il examinait avec attention la nature des terrains ; il cherchait à reconnaître sa situation par l'observation des couches superposées. (...)
Observez ces murailles qui s'agitent, ce massif qui se disloque, cette chaleur torride, cette eau qui bouillonne, ces vapeurs qui s'épaississent, cette aiguille folle, tous les indices d'un tremblement deterre! » Mon oncle secoua doucement la tête. « Un tremblement deterre? fit-il. - Oui ! - Mon garçon, je crois que tu te trompes ! - Quoi ! vous ne reconnaissez pas ces symptômes ?... - D'un tremblement deterre? non ! J'attends mieux que cela ! - Que voulez-vous dire ? - Une éruption, Axel. - Une éruption ! (...)
- Oui, répondit le professeur en me regardant par-dessus ses lunettes, car c'est la seule chance que nous ayons de revenir à la surface de laterre! » Je passe rapidement sur les mille idées qui se croisèrent dans mon cerveau. Mon oncle avait raison, absolument raison, et jamais il ne me parut ni plus audacieux ni plus convaincu qu'en ce moment, où il attendait et supputait avec calme les chances d'une éruption. (...)
Une force énorme, une force de plusieurs centaines d'atmosphères, produite par les vapeurs accumulées dans le sein de laterre, nous poussait irrésistiblement. Mais à quels dangers innombrables elle nous exposait ! Bientôt des reflets fauves pénétrèrent dans la galerie verticale qui s'élargissait ; j'apercevais à droite et à gauche des couloirs profonds semblables à d'immenses tunnels d'où s'échappaient des vapeurs épaisses ; des langues de flammes en léchaient les parois en pétillant. (...)
Hans m'avait sauvé de la mort, pendant que je roulais sur les flancs du cratère. « Où sommes-nous ? » demanda mon oncle, qui me parut fort irrité d'être revenu surterre. Le chasseur leva les épaules en signe d'ignorance. « En Islande ? dis-je. - Nej, répondis Hans. (...)
Lorsque le regard franchissait cette verdoyante enceinte, il arrivait rapidement à se perdre dans les eaux d'une mer admirable ou d'un lac, qui faisait de cetteterreenchantée une île large de quelques lieues, à peine. Au levant, se voyait un petit port précédé de quelques maisons, et dans lequel des navires d'une forme particulière se balançaient aux ondulations des flots bleus. (...)
Les hasards de cette expédition nous avaient transportés au sein des plus harmonieuses contrées de laterre! Nous avions abandonné la région des neiges éternelles pour celle de la verdure infinie et laissé au-dessus de nos têtes le brouillard grisâtre des zones glacées pour revenir au ciel azuré de la Sicile ! (...)
Le vendredi 4 septembre, nous nous embarquions à bord du Volturne, l'un des paquebots-postes des messageries impériales de France, et, trois jours plus tard, nous prenionsterreà Marseille, n'ayant plus qu'une seule préoccupation dans l'esprit, celle de notre maudite boussole. (...)
Je laisse à penser si le retour du professeur Lidenbrock fit sensation à Hambourg. Grâce aux indiscrétions de Marthe, la nouvelle de son départ pour le centre de laterres'était répandue dans le monde entier. On ne voulut pas y croire, et, en le revoyant, on n'y crut pas davantage. (...)
Le jour même, il déposa aux archives de la ville le document de Saknussemm, et il exprima son vif regret de ce que les circonstances, plus fortes que sa volonté, ne lui eussent pas permis de suivre jusqu'au centre de laterreles traces du voyageur islandais. Il fut modeste dans sa gloire, et sa réputation s'en accrut. (...)
Nous étions singulièrement attachés à notre brave chasseur d'eider ; son absence ne le fera jamais oublier de ceux auxquels il a sauvé la vie, et certainement je ne mourrai pas sans l'avoir revu une dernière fois. Pour conclure, je dois ajouter que ce Voyage au centre de laterrefit une énorme sensation dans le monde. Il fut imprimé et traduit dans toutes les langues ; les journaux les plus accrédités s'en arrachèrent les principaux épisodes, qui furent commentés, discutés, attaqués, soutenus avec une égale conviction dans le camp des croyants et des incrédules. (...)Jules Verne. Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits ». I - Le 24 mai 1863, un dimanche, mon oncle, le professeur Lidenbrock, revint précipitamment vers sa petite maison située au numéro 19 de Königstrasse, l'une des plus anciennes rues du vieux quartier de Hambourg. La bonne Marthe dut se croire fort en retard, car le dîner commençait à peine à chanter sur le fourneau de la cuisine. « Bon, me dis-je, s'il a faim, mon oncle, qui est le plus impatient des ...